COMMENT J'AI RENCONTRÉ LE MUR À MARRAKECH
"Le mur" expliqué à ma belle-mèreAvant de commencer mon compte-rendu,
il faut que j'éclaircisse deux ou trois choses pour Odette ma
belle-maman, qui suit assidument mon blog. Il faut que je lui dise que
les marathoniens n'ont peur de rien si ce n'est d'un phénomène bien
connu par eux. Il s'agit de ce moment, vers le trentième kilomètre, où
l'on ne sait plus pourquoi nos jambes décident de s'arrêter de courir.
Elles nous crient au visage : "je veux du sucre ! " et bien entendu on a
plus rien en stock alors on leur répond en désespoir de cause : " Des
lipides ça ira ???"
C'est un processus physiologique
excessivement douloureux que l'on compare à une collision avec "un
mur"...mais un trente-huit tonnes pourrait tout aussi bien faire
l'affaire.
On a plus de jus, plus rien, rien de rien...on est retourné, lessivé, laissé pour mort.
Armand VS "Le mur" round 1
Le 26 octobre dernier, lors de mon premier marathon. Je l'avais craint,
je l'avais respecté et finalement il m'avait laissé tranquille. J'avais
utilisé ma meilleure arme à disposition, à savoir un bon vieux 10 km/h
pendant 4h13. Il m'avait fait croire, le bougre, que ce moment de
souffrance pure, ça n'était pas pour moi. Armand 1 - "Le mur" 0
Voilà, je peux commencer mon récit.
8h du mat, j'ai des frissons
Donc, trois mois plus tard, me voilà à Marrakech, sur l'avenue de la
Menara, il est 8h, il fait super beau mais un bon vieux 6 degrés, me
glace les os. L'ambiance est cosmopolite, j'entends parler Marocain,
mais aussi beaucoup Français, Anglais, Italien et d'autres langues que
je n'identifie pas très bien. En regardant les différents t.shirts je
constate que l'Europe entière s'est donné rendez-vous ce matin. Pologne,
Hongrie, Suisse, Russie, Autriche, Suède, Norvège...Y a-t-il un pays du
vieux continent qui a oublié d'envoyer des représentants ?
Manifestement Beaucoup n'en sont pas à leur premier marathon. Par contre petit point négatif, il n'y a pas de meneur d'allure
(Belle-maman, il s'agit d'un monsieur ou d'un groupe de messieurs qui
porte un drapeau avec écrit "4h" par exemple et que l'on doit suivre si
l'on veut terminer en 4h donc). Il va falloir se débrouiller seul. Je
suis également surpris par la taille XS du peloton. À peine 750
coureurs. Ils seront dix fois plus pour le semi.
11.22 km/heure, je suis un winner
Ça y est, le départ est lancé et j'ai de la place pour courir. On ne se marche pas sur les pieds.
Je me sens bien, je démarre sur une moyenne de 5 minutes 20 au
kilomètre. Et je vais tenir ainsi, sans problème pendant 25 kilomètres.
Donc je passe la moitié du parcours en 1h52, je fais même mieux que mon
dernier semi officiel. Cela aurait quand même dû m'alerter, mais non, il
y a plein de gamins au bord de la route, je tape dans des petites
mains, je suis plus fort que " Le mur ".
Bien entendu, son spectre ne va pas tarder à apparaître. Déjà je me
rends compte que depuis le 22ème kilomètre je perds quand même 1seconde
sur mon allure chaque fois que je regarde mon portable.
"Rien de grave" me dis-je. "5 minutes 22 au kilomètre, c'est super", je me vois finir en 3h45.
C'est qui le patron ? Moi ou "Le mur" ?
"Oui mais je commence à avoir un peu mal aux jambes quand même."
" Et puis c'est moi ou bien il y a des coureurs qui commencent à me dépasser ?"
"Bah t'inquiète Armand tu accélères quand tu veux non ?"
"Euh..."
Oui je commence à entendre plusieurs voix dans ma tête.
Tiens je passe le 29ème kilomètre et mon allure est à 5 minutes 27.
"Combien il reste là ? 13 bornes. Ah ouais quand même. On pourrait pas arrêter la course la
maintenant tous ensemble ?"
"Non ? Ok d'accord aucune solidarité quoi." Je commence à ne plus croire en l'Europe.
Je note que, tout compte fait, il n'y a peut-être pas de coureurs Grecs.
Autant c'est bien au départ de ne pas être nombreux, autant au 30ème
kilomètre on se sent vraiment seul. Et bien sûr maintenant j'ai hyper
mal aux jambes.
Toutes mes forces semblent me quitter. C'est très difficile à expliquer.
"Le mur", "Le calvaire" et moi
Oh non ! C'est pas vrai. Il faut me rendre à l'évidence, Il est là "Le
mur" à roder au trentième kilomètres du marathon de Marrakech, pas loin
de La Palmeraie (exactement comme je l'avais expliqué en préambule,
c'est dingue).
En plus il a invité son pote à nous rejoindre, oui vous savez, "Le calvaire".
À partir de là "Le mur", "Le calvaire" et moi, on ne se quitte plus. À la vie, à la mort.
Armand 1 - "Le mur" 1
8.4 km/heure je suis une bouse
Pour vous donner un ordre d'idée, du trentième au quarantième kilomètre
ma moyenne est tombée à 7 minutes du kilomètre ! Je trottine comme un
petit vieux. Il y a belle lurette que j'ai renoncé à taper dans les
mains des gamins sur le côté. Pas la force. Une autre fois.
Le moindre pas me demande de livrer une bataille féroce contre moi-même.
Du coup chaque kilomètre me paraît en faire 10 sur ces boulevards interminables.
Et en plus, cerise sur le gâteau, une troisième copine vient de se
taper l'incruste sans me prévenir. Il ne manquait plus qu'elle. Elle
s'appelle "L'ampoule au petit doigt de pied" et c'est fou comme elle sait occuper toute l'attention.
Moins de 4h13 par pitié !
"L'objectif moins de 4h" a pour sa part décidé de rentrer en France vers le 35ème kilomètre en me traitant de looser.
Il n'y a plus qu'une chose qui me tient, c'est juste de faire mieux que 4h13 (mon résultat lors de mon premier marathon).
Dans un sursaut d'orgueil et de désespoir, le mélange peut paraître
incongru et pourtant, je réussis dans les deux derniers kilomètres à
flirter de nouveau avec les 10km/heure. Les marocains sur le bord de la
route me lancent de précieux encouragements et un concurrent du semi
commence même à courir à mes côtés pour m'accompagner sur 200 mètres. Et
finalement au bout de l'épreuve l'honneur est sauf, 4h06. Je fais mieux
qu'à Toulouse, c'est une petite victoire dont je me contente tout à
fait.
Je franchis la ligne d'arrivée et je ne vois ni ma femme, ni mon pote
Stéphane. Je suis sincèrement au bord des sanglots. Je n'ai pas envie
qu'ils me voient comme ça. Je laisse échapper quelques larmes et au bout
de 10 minutes, on se retrouve enfin. Je vais déjà mieux.
Pour l'instant, je profite, l'heure n'est pas encore à l'analyse. Je me laisse encore quelques jours.
Je me suis pris une bonne claque mais je ne regrette rien, je sais que
j'aborderai le troisième round dans d'autres dispositions, avec un peu
plus d'humilité.
Rendez-vous à Nantes "Le mur" ! ou plutôt Non ! Lâche-moi la grappe
lorsque je serai en Pays de Loire, sur ma terre natale. Et s'il te plait
laisse-moi me réconcilier avec "l'objectif moins de 4h".
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