LE FINISHER ET LA SIRÉNE PAULA
Un premier marathon mérite bien un premier CR. Histoire de vivre l’expérience pleinement. Après 10 semaines de préparation ponctuée par l’arrivée de mon 2ème fils, je suis devenu ce 27 octobre 2013 un « finisher » au Marathon International de Toulouse Métropole 2013. Confession.Le passage à l’heure d’hiver et les petites perturbations horaires qui l’accompagnent feront de cette journée une de celles dont on se souvient. L’angoisse de rater l’heure du réveil est levée par la pendule en incrustation sur I-Télé. Il est bien 6h du matin, dans 2h45 ça sera le départ. Le temps d’avaler un double café (la petite voix : « c’est diurétique, déconseillé avant une course !»), de prendre une douche, de charger les affaires dans la voiture, de revérifier une trentaine de fois si je n’ai rien oublié la veille - « préparez votre sac la veille, cela vous évitera un stress supplémentaire le matin » - et me voici en route pour le pont Coubertin où aura lieu le départ. J’arrive une heure avant le départ ce qui me laisse le temps de me préparer et de trier le sac qui m’attendra à l’arrivé au Capitole via le service consignes. 8h25, après l'échauffement, je ferme la voiture, cette fois c’est pour de vrai, il va falloir courir 42,195 Km. Les divers stratagèmes imaginés pour me protéger du froid en attendant le départ auront été inutiles. Il fait déjà 20° au soleil. Je n’aurai pas la chance d'étrenner mes vieilles chaussettes découpées qui devait me servir de manchons pour me réchauffer les bras. Un couple jette déjà ses superbes Tops en sacs poubelles qu’ils avaient préparés pour la même raison Sur le pont, la foule des runners et leur accompagnants est impressionnante. Je croise un sosie de Philippe Lucas sans Laure Manaudou et une flopée de « gueules ». Je me sens à l'aise dans cette communauté des runners En regardant le parvis vide du Stadium en contrebas je me dis que ce n’est pas jour de match aujourd’hui. L’affrontement ne se jouera pas à 15 contre 15 mais à 1 contre 42,195. Je revois les regards des joueurs à la sortie des vestiaires avant d’entrer sur le pré. Ça m’aide à me conditionner. « beast mode ». Sac déposé à la consigne, montre GPS réglée, je rejoins le SAS 3h30. Le bleu. Plus loin derrière je repère les drapeaux blancs du 3h45 et au loin, les verts du 4h00. « Bleu, Blanc, Vert » j’avais beaucoup aimé cet album de Jean-Louis Aubert. Aujourd’hui cette trilogie sera mon repère temps. Mon plan de course : atteindre progressivement 12Km/h jusqu’au semi et finir à l’économie à 10,5km/h voire 10. Ceci devant me garantir une arrivée en 3h45. 4h au pire mais pourquoi pas moins si, comme lu dans une interview de Paula Radcliffe, « mon corps me dit que je peux continuer si je me sens bien ». La sono hurle le départ du premier SAS. La foule avance de quelques mètres. Le deuxième SAS démarre, on avance encore du portique rose de la ligne de départ. Encore un SAS et c’est à nous, les bleus, objectif 3H30. L’ambiance est survoltée et enthousiaste, on frappe des mains pour accompagner Maroon 5 et nous donner une dernière dose de courage. C’est parti ! Je déclenche ma montre sur le tapis de départ, tout fonctionne, il faut courir maintenant. « Éviter de trébucher sur le pied d’un concurrent devant vous ». C’est ce que je m’efforce de faire sur les premiers mètres mais à ma grande surprise et grâce aux larges boulevards toulousains cette exercice périlleux ne durera pas. Après 2Km le peloton est déjà aéré. Je peux lever la tête et profiter de cette ballade matinale dans la ville rose réservée pour un jour aux runners addicts. Pas de bruits de voitures, de klaxons, de sirènes aujourd’hui. Que des bruits de pas, des « hou hou » de respiration autour de moi et les encouragements du public et des bénévoles. Grâce au prénoms écrits sur les dossards, j’ai droit à un premier « Allez Franck !!! ». Il y en aura beaucoup d’autres et ils feront tous du bien. Toulouse est à moi aujourd’hui. Je suis au paradis. Un coup d’œil à ma montre : 2km parcourus, 12,2Km/h de moyenne, je prends de l’avance sur mon temps cible, la vie est belle, un marathon c’est du bonheur ! Je vérifie mes pulsations : 84% de FCM ! « Hey ! Attention ! Tu dois rester entre 75% et 80% » Je n’écoute pas cette petite voix, je ne veux écouter que la Reine Paula « mon corps me dit que je peux continuer si je me sens bien ». Et je me sens super bien. J’aurais du écouter cette petite voix. Je n'ai entendu que la sirène. Les kilomètres défilent au son des nombreux orchestres Brésiliens, Antillais. Le thème cette année : le tour du monde en 42,195 Km. Pas vraiment ma tasse de thé la world-music mais aujourd’hui je pourrais écouter l’intégrale de Stromae tellement je suis heureux. Un virage et voici le pont Neuf avec au loin, sur l’autre rive de la Garonne, le superbe Hôtel Dieu. A ce 5ème Km je savoure ce moment unique et son décor : courir un marathon qui passe au pied de l’Hôtel Dieu. Le parcours nous amène devant le musée des Abattoirs. Un cochon rose géant et une Cow-parade trônent dans le jardin. Arrive un nouveau pont sur lequel une banda reprend l’air de la « pena bayona ». Tous les concurrents autour de moi lèvent les bras en hurlant « Olé ». Moi aussi, qu’est ce qu’il m’arrive ? ça fait ça un marathon ??? » Un coup d’œil à l’allure, toujours 12,2km, tout va bien. Paula est vraiment la madone du marathon ! 10km, voici déjà la station « barrière de Paris » que je ne fréquente habituellement que pour prendre la navette gratuite vers Ernest Wallon les jours de match du Stade. Je commence à avoir chaud à l’heure de course, l’allure est moins confortable mais je suis toujours calé à quelques mètres des drapeaux bleus. « Keep calm and run ». Je comprends enfin ce que veut dire cette phrase. Elle deviendra mon mantra jusqu’à la fin de la course. Nous passons le périph et commençons la remontée vers Aucamville et St Alban où nous attends la mi-course. Je réponds à un groupe de hard qui se déchaîne sur Enter Sandman de Metallica par un signe de la main façon cornes du diable. Je ne savais pas encore que j’étais entré sur l’autoroute de l’enfer.AC/DC aurait peut être été plus approprié à la situation Je réponds par un big-up à un groupe de rap improbable qui apprécie mon geste et me rajoute une couche de « Allez yoooooo !!! ». Je pense à Eminen qui a fait le buzz quelques jours avant en prononçant 101 mots en 16 secondes dans sa nouvelle chanson. Ces rappeurs là ne boxent pas dans la même catégorie mais ils sont sympathiques. Je suis porté par l’ambiance Marathon. C’est fête aujourd'hui. Je continue la remontée vers Aucamville, la partie la moins glamour du parcours. Je suis toujours en avance. Une punkette chanteuse d’un groupe de rock me fait penser à Lisbeth Salander version platine. J’en profite pour m’inspirer de la détermination à toute épreuve de l’héroïne de la saga Millenium. « analyse des conséquence, keep calm and run ». Je croise la première victime du Marathon couchée sur le trottoir essayant sans doute d’exorciser des crampes qui l’assaillent. Les crampes c’est horrible. Dur de relancer après ça. Il fait de plus en plus chaud, l’allure est de moins en moins confortable, nouveau coup d’œil à la montre : 12,5Km/h en instantané. « hey mais tu pètes la forme aujourd’hui, c’est bon pour les 3h45…au moins ! ». Paula est avec moi. J’aperçois l’arche bleu marquant le semi que je franchis en moins d’1h40. RP battu ! « ce n’est pas l’objectif du jour ». Je n’ai pas entendu cette petite voix ; ou je n’ai pas voulu l’écouter. Je me décide à ralentir « le plus dur est fait, savoure maintenant ».Mon allure passe à 11,5km/h mais j’ai encore du mal à tenir. 11Km/h. "keep calm and run" Il fait de plus en plus chaud et je peine pour rester en croisière à 11km/h. « déjà le mur des 30 ??? je n’en suis qu’à 25 ??? » Je commence à guetter ma famille et les voisins qui doit m’attendre vers le km 27. Mon bidon est presque vide, vivement le prochain point d’eau pour refaire le plein sans m’arrêter. Il fait de plus en plus chaud, les victimes sont de plus en plus nombreuses, allongées sur le bord de la route avec les bénévoles qui s’affairent. Un dizaine déjà et nous sommes encore loin du « Cap ». Le point d’eau arrive enfin mais un bénévole hurle « plus d’eau, plus d’eau !!! ». Il va falloir attendre le suivant dans 2 ou 5Km. Je commence à perdre ma lucidité. « keep calm and run » Après une petite cote, j’aperçois mon voisin d’1m90. La tribu est là, au complet. Il ne faut pas les inquiéter « alors que je flirte avec la zone rouge » Je claque le « Lightning move » d’Usain Bolt pour faire marrer mon public (« tu viens de faire ça devant plein de gens toi ? l’introverti ? ») et enchaîne un crochet pour aller leur taper dans les mains. La foule a apprécié et applaudit. Je les entends à peine. C’est reparti. Cet épisode familial et cette petite descente m’ont fait du bien, « plus que 15 Km, c’est quoi 15Km ? Tu le tiens ! ». « le mur des 30 est difficile à passer mais après ça va mieux… AIE !!! » une violente crampe derrière la cuisse droite. Le coup de poignard. « Je n’ai jamais eu de crampe même sur des runs plus longs, qu’est ce qu’il m’arrive ? » Je continue ; la crampe diminue un peu d’intensité mais je sens mon muscle prêt à se tordre à tout moment. Je continue en boitant. La douleur est toujours là et je décide d’imiter un coureur qui s’étire sur une barrière « toi qui voulait finir sans marcher… allez, le plus important c’est finir ». Après ces quelques secondes de récupération j’essaie de relancer. C’est dur, il fait chaud. Je peine pour retrouver un 10km/h. J’aperçois enfin un point d’eau et je vais pouvoirs refaire le plein option pastilles de trail Gu. « Arrosez vous la nuque avec un gobelet s’il fait chaud » je m’exécute volontiers et c’est vrai que ça fait du bien. Je réalise que toutes les victimes couchées n’ont pas du succomber qu’aux crampes mais à des coups de chaud. Il est environ midi à l’ancienne heure et il doit faire au moins 25° au soleil « c’est mieux que la pluie après tout ». Nous repassons enfin le périph synonyme du retour dans les beaux quartiers. Plus que 12Km mais nouvelle crise de crampe. Les deux cuisses cette fois. Nouvelle pause étirements…et pause technique pour ne pas perdre plus de temps. Je relance, c’est encore plus dur, j’arrive péniblement à reprendre un 8km/h. Je cherche les rares passages ombragées sur les boulevards qui nous ramènent à nouveau à Barrière de Paris. 3H de course et 34Km parcourus, la brique rouge des Minimes est proche. L'épilogue n'est plus qu'à 8km. « keep calm and... » nouvelle crampe, plus violente encore. Je m'arrête à nouveau, m'étire et relance. Je dois avoir la foulée d'un robot. Je commence à douter de ma capacité à finir, mon ego m'a fait sous-estimer cette épreuve. Je comprends que seulement penser à un 3H30 pour une première participation était un pécher que j'allaiis payer très cher. « un marathon ça se termine». Les Minimes n'auront pas l'effet escompté sur le moral, je ne verrais pas la brique rouge, mon seul horizon est le gris du bitume. Les drapeaux blancs me dépassent, d'ailleurs j'ai l'impression que tous les concurrents me dépassent avec une fraîcheur et une facilité inquiétante. Au revoir mon objectif des 3H45. « Allez il reste encore deux objectifs : terminer et en moins de 4h ». La foule se fait de plus en plus nombreuse et les encouragements des bénévoles aussi. Je tiens grâce à eux. A chaque point d'eau ce n'est plus un gobelet qui me sert de douche mais une bouteille entière. J'en prendrai même une à l'eau gazeuse, c'est très agréable, je vous le conseille. La longue ligne droite du boulevard Lazare Carnot jusqu'au Grand rond est interminable. Je dois à nouveau m'arrêter pour stopper les crampes et repartir. Encore. Au passage du Grand Rond désert, l'organisation a posté un chanteur aussi déprimant qu'un pavé de Zola. « ils l'ont mis là pour nous achever lui ??? ». J'ai dépassé la zone rouge, j'entre dans la rouge foncée, je sens mon cœur se durcir, la salle des machines est proche de l'explosion. Au 38éme kilomètre j'ai complètement perdu ma lucidité, je ne sais plus compter, je n'arrive plus à calculer le temps qu'il me reste à courir. Je regarde mes jambes qui courent. Pour combien de kilomètres encore ? Comble de la défaillance : j'en arrive à me demander si un marathon fait 41,195 ou 42, 195km ! Je ne sais plus, je suis à la dérive, je n'arrive plus à réfléchir quoi que ce soit, je ne sais plus s'il me reste 3 ou à 4Km à faire. Arrive la traversée du jardin des plantes. L'allée centrale est ombragée et abrite un ravitaillement. Je me rue sur une assiette de figues sèches et une autre de bananes que j’engloutis aussitôt. Je reprends une douche. Je suis à l'état primitif. Je repense à @Maglawenn devenue finisher une semaine plus tôt à Vannes « à la fin ce n'est plus les jambes qui aident à finir, c'est la tête ». Un concurrent force un autre naufragé à tenir jusqu'au bout et lui hurle « allez, tu ne t'est pas entraîné toute l'année pour arrêter maintenant, allez on arrive, 2km ! ». « Il a raison ! » Je reprends enfin une allure à 10km/h, je vais mieux, je sens l'arrivée proche. « Derrière moi c'est moins de 4h !!! » voilà le drapeau vert qui me dépasse. J'essaie de le suivre mais il me distance doucement. Soudain le bitume gris laisse la place à une large allée en carrelage noir. La foule est contenue derrière des barrières comme à l'arrivée du tour de France. « Enfin! »C'est la Rue Alsace-Lorraine, la dernière grande ligne droite avant le virage à gauche pour prendre la petite rue La Fayette qui nous mènera à l'arrivée. Je reprends une allure plus soutenue, je ne peux plus échouer, encore quelques efforts et j'en aurai terminé. Le drapeau vert est à une cinquantaine de mètre devant moi, il tourne à gauche, je le perds de vue. La foule est déchaînée, Toulouse est en fête. Moi aussi, je savoure. Je tourne à droite, encore 195m, je vois l'arche d'arrivé, la fin du tunnel. Le chronomètre égraine les secondes, j »arrête ma montre « bip ! » : après 4 heures 1 minutes et 7 secondes de souffrance, de délire, de détresse, je franchit la ligne et deviens un Finisher. « YEEEESSSSSSSS !!!! » Après quelques pas façon échasses, une euphorie suffocante m'emporte. 2 bénévoles me barrent la route et me tendent une médaille. Ça y est, je le tiens mon précieux, « devenir finisher » se matérialise en une croix occitane dorée au bout d'un ruban rose sur laquelle est gravé «27 oct. 2013 Marathon International Toulouse métropole ». La bénévole me passe la médaille autour du cou, des images de remises de médailles aux JO me viennent à l'esprit ; je ne la quitterai pas jusqu'au soir. Un SMS pour rassurer la tribu, un tweet pour informer la communauté des supporters qui m'a merveilleusement motivé et conseillé et @ptitestef (une future finisher j'en suis convaincu) qui m'attendait déjà. Tout ce qui viendra après ne sera que douceur, le jus des quartiers d'orange, les bananes, le pain d'épice, les figues séchées, le Coca frais, l'eau gazeuse, les boissons énergétiques aux agrumes, les tweets de félicitations. Avant de rejoindre la tribu, je m'accorde une heure de récupération en déambulant sur la place du Capitole. Christophe Lemaitre félicite Benjamin Bitok, qui bat son propre record de l'épreuve, sur le podium.Photo souvenir. Je récupère mon sac à la consigne et regagne un peu en confort dans des vêtements secs. Avant de repartir, je me joins au public pour encourager les derniers arrivant dont Giorgio, un quidam sexagénaire et bedonnant qui boucle la course en 5h21', « wow ! Il a courru1h20 de plus que toi ! » C'est encore plus remarquable ! Le retour à la voiture en métro au milieux d'autres finishers facilement reconnaissables à leur médaille autour du cou et à leur sourire béat « je ne suis pas le seul », puis le retour à la maison se fera sur un petit nuage. Je remonte sur ce petit nuage chaque fois que je repense à cette journée où que je reçois de nouvelles félicitations inattendues. Avec quelques heures de recul, je vais vite comprendre que mon ego m'a conduit à gérer la course stupidement en partant beaucoup trop fort puis en vivant un véritable calvaire. En me brûlant pour poursuivre les 3H30 pour une première expérience, j'ai raté les 3H45 et les 4H. J'ai couru ce marathon à 84% de FCM soit 10% de trop, un rythme adapté à un 10Km voire un semi. A 100% de stupidité et de prétention aveugle. Pourtant, je ne suis pas déçu et infiniment heureux d'avoir terminé. Je n'en veux pas à mon ego. Au contraire. Même s'il m'a fait rater des objectifs chronométriques, il m'a fait vivre cette expérience pleinement, douloureusement et m'a remis à ma place de débutant. Il a préservé la dimension mythique de cette épreuve que j'aurais pu galvauder en finissant trop facilement et réalisant tous mes objectifs à la première participation. Il m'a conduit jusqu'à mes limites pour me donner la chance de pouvoir les dépasser. C'est ce que j'étais venu chercher en réalité et je n'ai pas été déçu. Grâce à lui j'ai déjà envie d'y retourner pour passer sous les 3H45 et regouter à cet extase après cette « sortie longue » hors normes.. Un marathon est une fabuleuse aventure, un pèlerinage, une violente leçon d'humilité, une expérience d'un autre monde, de celles qui vous changent pour toujours et que vous n'oublierez pas. « Un Marathon, ça se termine. », alors « keep calm and run ». http://www.youtube.com/watch?v=L--_6qVRC0ISi vous avez aimé cet article, vous aimerez surement ceux-ci :